L'avant dernier chapitre =p
Chapitre 6 : Quand le Chat de la Reine se souvient du passé.
Cela remonte à tellement longtemps, mon enfance... Et pourtant, jamais je ne pourrais l'oublier. A cause de lui, et de ce qu'il m'a fait...
Des flammes immenses léchaient des bâtisses noircies. Le sol boueux empestait le sang et la mort à plein nez. Des gens se bousculaient, hurlaient en tentant de sauver leur peau. Au milieu de ce désastre se tenait une jeune fille aux longs cheveux cuivrés et aux yeux d'un vert profond. Immobile face au carnage, elle semblait admirer le spectacle. Les silhouettes des victimes agonisantes ressemblaient à des ombres chinoises dans ce lugubre tableau.
"- Maman... Papa...
- Ils ne sont plus là, ma mignonne !"
Un homme corpulent et au visage grossier avait saisit les bras de la jeune fille par derrière. En la maintenant serrée contre son corps dégoulinant de sang et de sueur, il lui caressa la joue d'un doigt épais.
"- Hé, hé, hé... Je ne m'attendais pas à voir une telle prise de guerre dans un village paumé comme celui-ci ! Allez viens par là, ma belle... Viens me voir...
- Lâchez-moi !"
L'immonde brigand avait commencé à relever le bas de la robe de la jeune fille, qui se débattit du mieux qu'elle put. Contrarié, il la frappa au visage et la tira par les cheveux dans une des rares bâtisses épargnées par l'incendie. Là, il ferma la porte et jeta la pauvre fille sanglotante sur ce qui restait du matelas d'un lit détruit. Il passa la nuit à lui soutirer par la force sa chasteté juvénile.
Les Hommes sont des êtres immondes. Mais il existe des êtres encore plus abjectes, des vautours scrutant la moindre faille des Mortels pour acquérir leurs âmes envers et contre tout... Ces êtres, ce sont les Démons.
Seule dans la lueur du petit matin, restée immobile sous le choc de la nuit passée, elle pleurait. Ses larmes se mêlaient au sang coulé la veille, le sang des coups et le sang de son hymen impur. Les lambeaux de ses vêtements découvraient fortement ses jambes nues. Et c'est sur ces mêmes jambes qu'elle perçu une douce chaleur.
"Quel spectacle. On dirait une magnifique colombe laissée agonisante par un loup. Charmant !"
Une voix suave émergea de l'ombre. La jeune fille tenta lentement de se redresser sur ses coudes douloureux pour voir son interlocuteur.
Ses yeux... Jamais je ne pourrais les oublier, ses magnifiques yeux bleus. Si tendres, si charmeurs... et si traîtres...
Un jeune homme d'une vingtaine d'année était allongé à ses côté. Ses longs doigts fins glissaient le long de sa jambe droite. Il se plaisait à les faire remonter lentement sur le corps inactif de la jeune demoiselle, de ses chevilles à ses hanches, jusqu'à parvenir à son triste visage. Il la prit par le menton et tourna sa tête de gauche à droite.
" Il ne t'a pas ménagé, dis donc..."
Elle ne le lâcha pas du regard. Un regard plein d'angoisse et de terreur, mais aussi plein détermination et de défi.
" Et bien ! Mais quel regard ! fit le jeune homme, amusé. Tu as peur de moi ? Oh non, tu as plutôt peur de ce que je pourrais te faire, pas vrai ? Rassure-toi, je ne te ferais pas de mal... Du moins, pas pour l'instant."
Il posta son visage à quelques centimètres de celui de la jeune fille.
"Ce que je te propose, c'est de te venger de celui qui t'a fait subir toute cette souffrance, si lourde, si inutile, si honteuse... Tu n'as qu'une chose à faire : renie ta Foi et ton Dieu, conclus un pacte avec moi et venges-toi. Venges-toi de tout et de tout le monde. Fais de moi de Epée de Damoclès et libère-toi de cette douleur, de cette tristesse."
Pour seule réponse, la demoiselle lui cracha au visage et se tourna sur le côté pour fuir ses beaux yeux bleutés. Il essuya péniblement la salive du revers de sa main et s'allongea près d'elle, une main caressant son épaule droite.
"Ce que tu as subi en une nuit est bien pire que l'Enfer, crois-moi... Et rester là à te morfondre et sangloter n'arrangera en rien ta situation. Les seuls choix qui s'offrent à toi sont soit de partir le plus loin possible et refaire ta vie en tentant d'oublier tout ce qui vient de se passer... Soit tu choisis de me donner ton cœur en échange de mes services. Alors tu pourras prendre ta revanche sur ceux qui t'on fait subir tout cela... Je ne te force en rien, bien sûr. Mais je tiens à ce que tu y réfléchisses sérieusement."
Il posa un délicat baiser sur sa joue et se détourna d'elle.
Ses mots et ses yeux m'avaient tellement réconfortés à cet instant, que pour rien au monde je n'aurais pensé que le véritable Enfer n'allait commencer que bien plus tard.
Je me demande quelle vie j'aurais pu mener si je n'avais pas fait ce choix, ce jour-là...
"Ne me laissez pas, murmura douloureusement la jeune fille. Ne me laissez pas, s'il vous plaît..."
Le jeune homme se retourna, et ses yeux saphir croisèrent le regard fébrile de la pauvre fille. Il lui adressa un sourire et vint se rallonger à ses côtés. Elle sentait sur sa peau qu'il ne portait aucun vêtement, mais son esprit était ailleurs.
"- Qui êtes-vous ?
- Je suis la personne qui t'aidera à accomplir le moindre de tes désirs.
- Un simple humain ne peut pas faire ça...
- Je ne suis pas un simple humain : je suis ton démoniaque d'obligé désormais."
Il caressa sa joue en lui souriant tendrement.
Cet être de la nuit, il m'a demandé de lui donner un nom. Je ne sais pas pourquoi, à cet instant, j'ai prononcé le nom de l'homme que j'aimais. Et ainsi fut-il nommé que déjà la simple évocation de son appellation me hantait l'esprit. Ce nom ? C'était...
"- Tu ne dors pas ?
- Non, je ne dors jamais."
Deux ans s'étaient écoulés depuis l'incendie du petit village. La jeune fille était devenue une belle jeune femme. Elle était toujours accompagnée d'un jeune homme, tout aussi séduisant. Ils s'étaient arrêtés dans un petit village à peine peuplé. Les habitants leur avaient indiqué une sorte de grange abandonnée pour loger la nuit.
"- Et toi, tu ne devrais pas dormir ?
- C'est que, je n'arrive toujours pas à y croire. Enfin je... Il est mort.
- La patience n'est pas ton fort pas vrai ? s'amusa le jeune homme.
- Deux ans... il m'a fallu deux ans pour avoir ma revanche...
- Et oui, deux merveilleuses années...
- Tu as dit quelque chose ?"
Il nia de la tête. Accoudé près de la jeune femme, il regardait son doux visage illuminé par un rayon de Lune. Elle était si belle...
"- Qu'est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-elle au bout de quelques minutes.
- Tu te souviens des conditions de notre contrat ?
- Oui : je te donnerais mon âme en échange de tes services afin d'accomplir ma vengeance.
- Ta vengeance a aboutie, et je... Je dois te prendre ton âme...
- Je me suis faite à cette raison, tu sais ? Tu n'as pas à t'inquiéter, je ne regrette pas mon choix.
- C'est pas ça!"
Il se redressa et ébouriffa ses cheveux.
"- Je ne veux pas te prendre ton âme.
- Quoi ?"
La question surprit la jeune femme, qui l'observa avec inquiétude.
"- Mais, ce n'est pas contre le contrat ? Normalement tu...
- Je le sais ! Et j'en connais les conséquences...
- Les conséquences ?"
Le Démon se leva et posa sa main droite au niveau de son cœur.
" Si je romps le contrat, je ne mérite plus de vivre éternellement, tu comprends ?"
Ses ongles pénétrèrent profondément la chair et un liquide rougeâtre commençait à dégouliner lentement sur ses vêtements.
"- Mais qu'est-ce que tu fais ?!
- Je veux que tu vives pleinement ta jeunesse... Mon amour."
Sa main transperça son buste, écrasant l'organe vital dans son poing. Du sang sortait à grand jet de son torse masculin, et sa bouche s'était teintée d'un voile vermeil. Il tomba sur le sol poussiéreux en affichant un petit sourire. La jeune femme se précipita sur lui et reposa la tête du mourant sur ses genoux.
"- J'ai passé deux... merveilleuses années... avec toi...
- Ne parle pas, je t'en prie !
- Mon amour... Accorde-moi une dernière... faveur...
- Oui ?
- Laisse-moi... t'embrasser..."
Elle posa délicatement ses lèvres sur celles du jeune homme.
Un simple baiser, et voila le piège qui se referme sur moi...
Une sensation étrange parcourut le corps de la jeune femme. Comme si on lui arrachait quelque chose, tout près de son cœur. Cette sensation si douloureuse la fit s'écarter du mourant. Elle se tortillait sur le sol, les mains sur sa poitrine comme pour retenir cette chose dont la souffrance tentait de s'emparer.
"Ne résiste pas... Laisse faire cette douleur... Ainsi tu deviendras la moitié de ce que je suis... Car mon sang... coule en toi..."
Ainsi fut les dernières paroles du cet être de la nuit, après m'avoir rendu moitié humaine, moitié démoniaque. Cette malédiction, j'ai longtemps cherché un moyen de la lever... En vain.
J'ai alors vécu comme tous les autres humains, accaparant alors toutes les connaissances possible. Cette recherche du savoir m'a poussée dans de lointaines contrées où certains m'élevèrent au rang de Reine et de Déesse tant ils craignaient mon pouvoir.
Oui, les Humains ont peur de ce qui est différent et de ce qui les surpassent. Je n'échappais pas à la règle. J'ai hérité de nombreuses appellations, mais il y en a un que je n'oublierai pas, car c'est à cette époque que je l'ai rencontré, lui...
"- Mon Roi ! La Reine du Sud est arrivée !
- Soit. Faites-là entrer."
Une jeune femme pénétra dans la grande salle du trône, suivie par une multitude de serviteurs. Le teint halé rehaussé par une tenue d'ivoire, des yeux ambrés, une chevelure cuivrée tombant au bas des reins et une démarche droite et sûre d'elle, la Reine de Saba respirait la beauté et la sagesse. Elle salua son hôte avec toute la politesse d'usage.
"Grand Roi Salomon, je te remercie de m'offrir ton hospitalité en cette visite de ton royaume. Prends ces humbles présents en gage de ma gratitude."
Parmi ses suivants, plus de la moitié déversèrent bijoux, pierres précieuses et autres trésors au pied du sage Roi. Ce dernier descendit du Trône, et releva la tête de la Reine de Midi pour mieux apprécier son élégance naturelle.
"- Que diriez-vous d'une visite de mon palais en m'ayant pour guide ?
- C'est un honneur, roi d'Israël."
La Reine de Saba prit la main que son hôte lui tendit et arpenta de nombreux lieux toute la journée durant. Le soir arrivé, elle se retourna vers ses appartements que le Roi lui avait assignés. Défaisant sa coiffure et se massant la nuque, elle fut interrompue par un des serviteurs du roi qui frappait à la porte. Elle le pria d'entrer.
"- Belle Reine de Saba, votre beauté n'a d'égal que votre pitié. Mon Roi vous apprécie grandement et espère vous avoir pour épouse. Cependant je crains que vous ne soyez recommandable à sa vie...
- Quel affront !"
Se tournant vers la voix mielleuse et séduisante du serviteur, elle croisa ses yeux couleurs du thé.
"- Quel est ton nom, effronté, que je te punisse de mes mains ?
- Mon nom et mon existence importe peu, chère Reine. Je suis seulement intrigué par votre être.
- Mon être ? Mais de quoi parles-tu ?"
Il se rapprocha de la Reine.
"- Vous le savez parfaitement, non ? Je voulais voir à quoi ressemblait un Humain au sang démoniaque.
- Mais qui êtes-vous...?
- Le même sang coule dans nos veines. Tous deux avons renié le Dieu unique il y a bien longtemps, perdant ainsi notre Salut. Tu es comme une part de moi, et je suis une part de toi. Tu as juré allégeance au Roi des Démon plusieurs siècles passés, me voici devant toi. Makéda, seule femme liant l'Homme aux Démons par le corps, tu es mon ombre, à moi qui lie les Démons aux Hommes par la parole."
Sebastian, tu te souviens de cette nuit-là ? Moi, ton ombre, ton double, nous nous sommes liés par le corps et les mots. L'Histoire n'en fait jamais mention, et il vaut mieux, pas vrai ?
Depuis cette nuit, nous nous sommes souvent croisés à travers le temps. Oui, le temps qui semble s'écouler si lentement quand je ne t'avais pas dans mes bras... J'étais prête à tout pour te revoir, même à prêter serment à l'Angleterre et sa Reine...
Si seulement je n'avais pas gardé cette partie humaine, je ne serai pas là, en ce moment, à vivre mes derniers instants...